RÉSUMÉ DE LA BOUVET GUYANE 2012

UN DEPART EN DOUCEUR

A Dakar, le 29 janvier 2012, vingt-trois  rameurs solitaires dont une femme, Olivia La Hondé, franchissent à 10 H TU (heure locale) la ligne de départ de la troisième édition de la Bouvet Guyane. Dans l’anse Bernard, au pied du palais présidentiel où évoluent les bateaux, le temps est idéal avec un soleil légèrement voilé, une mer calme et un vent modéré de NE. « On a eu une chance insolente avec la météo », lâchait avec un immense soulagement Michel Horeau, co-organisateur de l'épreuve. Les canots s’élancent en rangs serrés comme pour une régate d'aviron en rivière. La flotte est  emmenée par Christophe Letendre galvanisé par son fan club de chez Bouvet venu tout exprès de France pour encourager «leur » skipper. 15’ plus tard Jean-Jacques Gauthier, champion d'aviron prend sans surprise le commandement des opérations. C’est sa troisième participation à la course et il entend imposer son rythme.

DEUX DIRECTIONS

La route orthodromique – la plus courte - pour atteindre Cayenne au départ de Dakar mesure 2150 milles nautiques en suivant un cap au 252°. En raison de la direction des vents, principalement de NE, et de leur force, modérée à forte, et aussi pour des raisons stratégiques prenant en compte l’évolution des courants, les rameurs mettent plus ou moins d’ouest dans leur route vers la Guyane. De fait la flotte se divise rapidement en deux groupes : les « nordistes » qui forcent sur les avirons pour suivre un cap à l’ouest malgré un vent et une mer traversière et  les « sudistes » qui évoluent avec un angle plus favorable et économisent leurs forces quitte à un peu rallonger la route. Ramer en haute mer est un labeur minutieux, à la fois quand on est aux avirons et plus encore quand on n’y est pas. Quelques degrés de gouvernail, quelques cm de dérive, l’assiette longitudinale du bateau sont autant de paramètres qu’il faut constamment adapter en fonction des conditions. La différence se compte en quelques kms gagnés ou perdus d’un jour à l’autre, mais après un mois ou plus en mer, ça fait beaucoup. La Bouvet Guyane est un exercice de courage, de force à la fois physique et mentale, de patience et aussi de précision.

PREMIERS ABANDONS

Le canot de la Bouvet Guyane est une « coquille de bois » ballotée en permanence. D’y trouver son équilibre nécessite une accoutumance.  Ils sont plusieurs à souffrir du mal de mer les premiers jours de navigation.  Frédéric Devilliers n’arrive pas à trouver le sommeil dans sa cabine. Pascal Tesnière éprouve lui aussi de grandes difficultés à trouver ses marques. A la fatigue s’ajoutent le stress, la malnutrition, la fatigue. Même Jean-Christophe Lagrange, le seul « voileux » de la bande donné comme un des favoris de la course reconnaît : « Il va me falloir 2 à 3 jours pour prendre le rythme. Après je serai véritablement dans la course ». Frédéric, Pascal, Jean-Christophe vont être les premiers à rendre les avirons, l’un est épuisé, l’autre s’est blessé à la main et le troisième renonce pour panne mécanique : celle de son dessalinisateur. Pascal puis Frédéric sont récupérés par l’Etoile Magique. Jean-Christophe est pris en remorque, direction Dakar « L'appareil n'a produit que 2 litres d'eau en 10 h de fonctionnement. Y a un gros problème que j'ai cherché à résoudre en vain cette nuit. Sachant que je consomme environ 10 litres d'eau par jour et que j'ai embarqué 20 litres d'eau en bidon en plus des 20 litres obligatoires, ça ne va pas le faire », déplore le skipper de la Quenelle Magique.

MANQUE DE LUMIERE

Les rameurs se plaignent de la fraîcheur ambiante, de la vigueur des alizés et de l’absence de soleil. Le manque de lumière occasionne des problèmes d’énergie, essentiellement fabriquée par des panneaux solaires. Et l’insuffisance d’énergie présente un gros problème collatéral : l’incapacité à produire de l’eau douce autant que nécessaire. Le déssalinisateur possède une pompe relativement gourmande en électricité. Si le voltage est insuffisant, la pompe ne fonctionne pas. Les rameurs disposent certes d’un dessalinisateur de secours à usage manuel mais son débit est « riquiqui » et la perspective de transpirer un demi litre d’eau pour récupérer un litre et demi d’eau potable tout au plus n’est guère motivante surtout quand elle survient au début du voyage.

 

J + 4 PASCAL VAUDE APPARAIT DANS LE TRIO DE TETE

Au quatrième jour de course, Jean-Jacques Gauthier mène toujours le train, mais en raison d'un gros dodo la nuit passée, il a vu son avance se réduire à 9.2 milles sur Henri-Georges Hidair et trois milles de plus sur Pascal Vaudé qui fait sa première apparition dans le trio de tête à l’issue d’une journée record à plus de 68 nautiques. Les neuf premiers ont franchi la barre des 2 000 milles les séparant de la ligne d'arrivée en Guyane. En 4 jours, le leader a parcouru 170 nautiques sur la route, soit une moyenne quotidienne de 42.5 milles/jour qui devrait s'améliorer dès que le vent s'orientera dans le sens de la marche. Rémy Alnet savoure son bonheur : « Je suis vraiment heureux de retrouver l'ambiance du grand large et de la solitude que j'avais découvert avec ravissement lors de la précédente édition. C'est formidable de laisser aller son esprit aux rêveries dans ce voyage de lenteur ». Rémy, occupe la 6ème place sur son Areva. Et entendait profiter de ce répit jeudi pour gagner dans l'ouest, voire grignoter quelques degrés dans le nord.

DIMANCHE NOIR

En fin de première semaine, les anciens de la course s’accordent sur la quiétude des conditions depuis le départ même si la mer croisée et cassante assaille les rameurs. Mais rien à voir avec la précédente édition quand dès le départ de St-Louis du Sénégal des vents de NW avaient rabattu à la côte des canots et donc obligé l’organisation à les remorquer pour dégager la pointe des Almadies. A l’instar de ses collègues, Pascal Vaudé se félicite de la situation et formule un vœu : «Pourvu que ces belles conditions nous accompagnent le plus longtemps possible ». Ce vœu n’est pas exaucé. A la vacation radio du matin, on apprend que le vent a soufflé fort dans la nuit et levé une mer  démontée qui a provoqué le chavirage de plusieurs canots. Les embarcations sont tous revenues à l’endroit et flottent normalement mais certains ont subi des avaries. Saïd Ben Amar a perdu sa balise de localisation. Jean-Jacques Gauthier avait pris soin de remplir le ballast aménagé en fond de coque et de fermer hermétiquement toutes les ouvertures après s’être réfugié à l’intérieur. Bien lui en a pris puisqu’il s’est retrouvé tête en bas. « Le vent a sans doute dépassé les 30 nœuds et la mer a atteint les 4 m de creux », estimait le champion d’aviron. Toute la journée et le lendemain, de nombreux rameurs informent le PC Course de leurs déboires : casse et infiltration d’eau de mer dans l’habitacle.

UNE NOUVELLE RAFALE D’ABANDONS

Après le coup de vent, on pense ses plaies et on fait le bilan. Ce n’est pas brillant ! Olivia La Hondé a contacté le PC pour prévenir que son appareil à gouverner avait été endommagé et qu’il était hors d’usage. Jean-Jacques Gauthier, en tête de la course depuis le départ de Dakar, signale une avarie identique sur l’aileron de gouvernail.  « Sans cet aileron, il est impossible de traverser l’Atlantique », estime Michel Horeau. Le grand timonier de la Bouvet Guyane s’étonne de la défaillance de cette pièce de contreplaqué à l’origine largement échantillonnée et qui a été encore renforcée avec du composite pour la rendre incassable. « Apparemment les contraintes infligées à l’appendice lorsque le bateau est balayé par une vague scélérate dépassent l’entendement », regrette Michel. Quant à Rémy Alnet, on peut parler de malchance. Il avait le panneau ouvert au moment du chavirage. L’eau a envahi l’habitacle et plus grave a endommagé le moteur du dessalinisateur. Et sans cet appareil à faire de l’eau douce, l’ancien de la course n’envisageait pas traverser l’Atlantique. Rémy, Jean-Jacques, et plus tard Olivia sont récupérés à bord de l’Etoile Magique qui va déposer  tous ses passagers imprévus (en tout six abandons) sur l’Archipel du Cap Vert à quelques journées de mer plus au nord.

J + 9 REPIT

Après deux jours de conditions difficiles, les concurrents éprouvent soulagement et décontraction. Pascal Vaudé, désormais en tête de la course (et il le restera jusqu’à l’arrivée), se dit désolé par les abandons de ses camarades et notamment des deux anciens qu’il connaît bien. Samedi, il a bien failli chavirer lui aussi mais son Marine & Loisirs est revenu du bon côté. Il se souvient  avoir eu une dure journée en 2009 et il espère qu’il n’y en aura pas d’autres cette fois. « Ce matin, il y a encore un peu de mer mais le vent ne dépasse pas 15 nœuds. C’est curieux il y a beaucoup d’algues en surface... comme des sargasses et ça m’empêche de pêcher ». Pascal était impatient de reprendre les avirons car il redoute la remontée d’Henri-Georges Hidair qui est plus au nord que lui et à moins de 5 milles derrière. Pour Benoît Souliès, ce « Dimanche Noir » restera un souvenir fort sans conséquence : «A 11 heures j’ai fait mon petit tonneau…  J’étais mort de rire, car je le sentais arriver. Ca a foutu le b… à l’intérieur ». La cabriole lui a coûté la perte de ses deux gourdes de liquide énergétique et a failli lui coûter la perte de deux rames partiellement détachées dans le choc.

LES SIX GUYANAIS DANS LES DIX PREMIERS

Au classement de 12 h (heure de Paris) ce même 7 février, deux Guyanais occupent les deux premières places. Pascal Vaudé est à 1723 milles de Cayenne devant Henri-Georges HIdair. Francis Cerda d’Hendaye complète le podium avec un retard de 21 milles en distance au but sur le premier. Jusqu‘au 8ème on peut dire que les canots suivants, ceux (dans l’ordre) de Alein, Verdu, Lainé, Dupont et Dupuy sont dans un mouchoir de poche. Letendre, localisé à 65 nautiques du leader,  est 9ème et Julien Besson complète le « top ten ». On note que les six coureurs guyanais sont tous encore en compétition et figurent parmi les dix premiers.

NUAGES DE SABLE

Julien Besson fonctionne encore sur une batterie mais il a réussi à étanchéifier le local qui prenait l’eau. Il a pu fêter l’anniversaire de son fils Swann qui a 5 ans depuis hier et répondre à sa maman qu’il fallait cesser de lui envoyer des messages lui répétant de ne pas oublier de se protéger avec de la crème solaire. Julien a fait aussi une découverte : les nuages de sable. Il n’est pas rare qu’après des jours de grand vent venu du désert des nuages déversent leur contenu poussiéreux au milieu de l’océan. Julien aurait préféré des nuages de pluie. Toujours le syndrome du déssalinisateur en panne ! Rémy Dupont a lui aussi eu droit à la tempête de sable. Son beau T-shirt blanc a pris une curieuse couleur marron. Le skipper du Brigandin a vu des gros dauphins à museau rond (des globicéphales ?) et s’est fait un petit extra ce matin en dégustant un filet de poisson volant. Comme Julien il s’est promis d’accélérer la cadence à la rame car le vent  a molli et la mer s’est calmée.

SERENITE

Y a de la joie ! Saïd Ben Amar qui vient rarement sur les ondes  se dit heureux et satisfait  de son parcours. Pierre Verdu s’amuse du mouvement des poissons volants : « ils volent en escadrille et parfois passent à me frôler ». Heureusement pour lui, il ne rame pas la nuit car les avions de chasse n’éclairent pas devant eux et percutent ce qui dépasse. Pierre aimerait lui allumer ses feux sous-marins pour améliorer l’ordinaire, mais il ménage ses batteries. « Et de toute façon, il y a trop d’algues en surface pour pêcher du poisson », rigole ce bon vivant.  Pierre Mastalski aurait aimé comme d’autres pouvoir mieux se préparer à l’usage des avirons quand la mer est fâchée, mais c’est compliqué : il faut du temps, des autorisations, un bateau accompagnateur… « Un jour de vent, j’ai navigué en tout et pour tout une heure en Méditerranée », se souvient le skipper de Mauvilac, apprenti du large comme la quasi-totalité de ses pairs bizuths de la Bouvet Guyane. Il fait contre mauvaise fortune bon cœur. Il est même franchement heureux en mer.  En guise de cadeau pour son 45ème anniversaire, le nageur de combat Christophe Dupuy s’est octroyé une belle récompense : ramer dans l’obscurité. Peu avant le lever du jour, ce robuste gaillard a profité de conditions favorables – une mer peu formée et un vent modéré – pour s’essayer au doux exercice de pousser sur les avirons sans distinguer clairement la surface de l’eau. Et ça lui a plu.

J + 15  QUATRE QUESTIONS  A PASCAL VAUDE

1/ Combien de temps rames-tu en moyenne par jour ?

Entre 8 et 9 heures. Je me réveille vers les 7 h. Je prends le temps de faire le point sur la carte et de me faire un petit déjeuner. A partir de 8 h, je rame jusqu’à 13 heures. Après cela, je fais une pause déjeuner et je reprends les avirons vers 14 heures et jusqu’à 19/20 h selon la clarté du ciel. A ces 10 heures théoriques, il faut soustraire quelques arrêts momentanés.

2/Pas de rame la nuit ?

Non pas encore. La nuit, je règle le canot au mieux pour qu’il dérive à bonne vitesse. Ce matin, en faisant le point, j’ai noté 20 milles parcourus sans toucher aux avirons.  En 2009 j’ai beaucoup appris sur les meilleurs réglages du bateau et aussi sur l’art et la manière de tirer sur les avirons. (en 2009, Pascal  savait à peine ramer)

3/ Tu t’attendais à mener la course ?

Pas vraiment. Le premier soir, j’ai failli faire demi-tour car ma batterie ne fonctionnait pas. Je me suis ravisé et j’ai bien fait. Le lendemain matin ma « doudou » me dit au téléphone  que je suis 9ème mais seulement 1.5 mille derrière mon copain Pierre Verdu. Durant la journée, j’ai bien forcé sur les rames. Le lendemain j’étais 5ème. Ensuite, j’ai maintenu mon rythme, il y a eu des abandons, et puis voilà… Je reçois beaucoup d’encouragements des Guyanais et ça motive.

4/Ta stratégie pour  la suite de la course ?

J’aimerais porter mon avance à 50/60 milles sur mes deux poursuivants, pour ensuite gérer la seconde moitié du parcours avec sérénité.

COURANTS

Outre la propulsion des avirons, le vent et les courants jouent pour beaucoup – pas loin de 50% estime Michel Horeau – sur la progression des canots. Les courants de surface sont des grands courants alimentés par l’échange thermique à l’échelle de la planète. Il  y a également les courants dits de dérive générés par le vent. La principale veine de courant de surface qui concerne la course est le courant nord équatorial qui va d’est en ouest. Il traverse l’Atlantique et rejoint une veine qui prend naissance à la corne du Brésil et se renforce dans le NW avec l’action conjuguée de l’Amazone. C’est le courant de Nord-Guyane : un flux puissant que les rameurs solitaires doivent impérativement intégrer à leur route en fin de course car il s’oriente au nord en approche de l’arrivée. Depuis le départ de Dakar, les rameurs subissent l’influence des courants de dérive produits par les alizés de NE et celle des courants de surface peu actifs. Dominique Conin, éminent routeur,  estime que les concurrents au nord de la flotte profitent plus de ces courants dans un premier temps. Mais il parie sur l’avenir. Bientôt les canots plus au sud seront les premiers à toucher le courant nord équatorial qui pousse les embarcations vers l’ouest « comme sur un tapis roulant ».

CAMARADERIE

Pierre Verdu : « J’ai reçu un SMS de Francis Cerda me demandant les cordonnées de Dupuy qui avait lui aussi des problèmes avec  son « désal » et je l’ai rappelé. Il m’a expliqué que son eau avait un mauvais goût et que cela l’indisposait. Je lui ai conseillé de puiser son eau de mer dans un seau et quand il le pourra de purger le circuit d’alimentation. Je lui ai aussi suggéré dans un premier temps de manger autre chose que du lyophilisé pour ne pas voir ce mauvais goût en bouche… ». Apparemment ça va mieux : il a repris les rames. Pierre Katz, un ancien de la Bouvet Guyane qui vogue dans les parages à bord de son petit voilier a parlé avec Francis ainsi que d’autres concurrents de la course pour l’aider sur le plan technique et lui remonter le moral. C’est l’esprit de cette aventure hors du commun. Des jours durant, Francis Cerda va tenter de trouver des solutions à ses problèmes d’approvisionnement en eau douce.

 

J + 20 VAUDE A MI-COURSE

Pascal Vaudé franchit le 34ème Ouest, une longitude qu’il considère marquer la mi-course.  Il emmène le groupe des « nordistes » et domine son sujet avec une cinquantaine de milles d’avance sur Henri-Georges Hidair constamment second. Après avoir mené le groupe des sudistes pendant les 10 premiers jours, Pierre Verdu s’est ravisé et ramait grand train pour remonter vers le nord et rejoindre le sillage de son ami Vaudé, voire remonter à sa hauteur.  Puis subitement le cap de La Fileuse est passé du plein ouest au presque plein sud entraînant avec lui Francis Cerda.  La flotte des 17 rameurs encore en course s’étale sur 4 degrés de latitude et Didier Lemoine ferme la marche avec 400 milles de retard sur le leader. Sachant que la seconde partie du parcours est plus rapide que la seconde en raison des courants qui s’intensifient, il paraît probable que le parcours sera bouclé en moins de 40 jours pour les premiers.

J + 25 CERDA ABANDONNE

En ce 23 février, on assiste à une début de convergence plus ou moins brutale entre les « sudistes » qui observent un palier dans leur descente et les premiers « nordistes » qui prennent leurs marques en prévision du courant de Guyane. Tout est affaire de nuance dans les changements de cap. Christophe Dupuy encore au nord occupe la 3ème place. Un « métro » (même si Christophe a séjourné deux ans en Guyane) revient dans le trio de tête. Ce même jour, Francis Cerda annonce son abandon. « J’ai été récupéré hier par le Bicho (bateau accompagnateur) et mon canot Moana a été abandonné en mer. La cause de mon abandon est due à une accumulation de problèmes. J’ai perdu beaucoup de poids et je suis physiquement diminué. La suite des problèmes fait que tu n’arrives plus à gérer les  choses correctement. Dans ces conditions, je ne voyais pas sincèrement comment terminer la traversée avec le petit dessalinisateur de secours à main qui produit un litre à l’heure ».  Henri Georges-Hidair est confronté à des problèmes récurrents avec cet appareil décidément délicat ainsi que Jean-Emmanuel Alein. Ramer au milieu de l’Atlantique la soif au ventre n’est pas une sinécure. Henri-Georges Hidair s’oblige à ne pas consommer plus de 2.5 l d’eau par jour sachant qu’il a en tout et pour tout 30 litres de réserve à bord en comptant le bidon de 20 litres de secours scellé par l’organisation. A titre de comparaison, Benoît Souliès consomme 6 à 7 l d’eau par jour et possède en réserve 50 litres à bord. Christophe Dupuy consomme 4 litres d’eau/jour répartis entre la production de son déssalinisateur  et des rations de survie embarquées. Francis Cerda est le 7ème abandon de la course

BESSON LE METRONOME

Julien Besson a un rythme de vie bien cadré. « Je me réveille tous les jours à 7 h 30 TU Et durant la nuit, je jette un coup d’œil toutes les deux heures sur mon traceur pour vérifier le cap et la vitesse de mon Cariacou Boto 3 ». Julien ne rame pas la nuit car « La nuit c’est fait pour dormir et récupérer », lance t-il en paraphrasant son ami Pascal Vaudé. Aussi parce qu’il ne peut pas gérer les vagues efficacement dans l’obscurité. Quitte à mal ramer autant se reposer.  « A 7 h 30 je commence par mettre les protections sur les pieds, les orteils et les mains. Ensuite petit déjeuner rapide suivi d’un point sur la navigation. Le jour commence à se lever et je suis prêt à prendre les rames. Et je reste à mon poste jusqu’au coucher de soleil ». Cette nuit à 05 h 30 l’alarme de son GPS a sonné, celle qui est couplée à l’AIS (détecteur de la présence d’un bateau à proximité).  Il s’agissait d’un chalutier de 70 m de long qui venait en travers de sa route. « Le bateau étant illuminé comme un sapin de Noël, je ne pouvais voir dans quel sens il allait. Heureusement l’écran de mon appareil indiquait sa vitesse et son cap ainsi que le risque de collision. Tout s’est bien passé sauf qu’il m’a été impossible d’établir un contact radio. En pareille situation on est quand même content d’avoir à bord un AIS en état de fonctionner ». Tous les rameurs ont croisé au moins une fois un bateau de pêche ou un cargo pendant la traversée et parfois ça a été « chaud ». Julien va bien physiquement et mentalement. Il faut dire que son classement ne cesse de s’améliorer. Il lui arrive même d’aller plus vite que Vaudé !

FATIGUE ET LONGUEUR DE TEMPS

Alain Pinguet, skipper de Lilo: « Je suis désolé pour Francis Cerda qui a abandonné après 26 jours de mer. C’est dommage que ça s’arrête comme ça pour lui car il avait fait beaucoup de sacrifices. On avait bien sympathisé à La Trinité-sur-Mer lors du stage. Maintenant c’est la course et c’est comme ça ». Le skipper de Lilo a sa façon à lui de naviguer : « Je rame uniquement au compas et j’ai une confiance absolue en mon ami/retour Bernard Mora qui est de Cherbourg. On a une petite discussion tous les soirs et il m’envoie un cap à suivre tous les matins… On arrive à faire une route propre ». Le moral est bon et Alain trouve dans cette aventure ce qu’il est venu chercher : « Les petits soucis, on les gère. On est là pour ça. Une aventure c’est fait surtout pour gérer au jour le jour les problèmes et ses émotions. Le fait est qu’on commence à fatiguer. Mardi, j’ai passé les mille milles et j’ai été pris en flagrant délit d’absence d’humour et de répartie, ce qui est inhabituel chez moi. J’avais une interlocutrice au téléphone au moment de déboucher une boisson gazeuse américaine. Elle m’interroge : où as-tu trouvé cela ? En temps normal, je lui aurai répondu : « j’ai fait Allo Pizza et un gars avec un gros scooter des mers est venu me livrer ». Là,  je n’ai rien trouvé de mieux à lui répondre que je l’avais acheté à Dakar. La vérité. Navrant ! C’est un signe qui ne trompe pas. Je suis fatigué. Mais bon, allez, je vais me remettre aux avirons ». Didier Lemoine ne comprend pas que la distance augmente autant entre lui et les premiers et  trouve le temps long : « Pourtant je rame, j’ai des ampoules aux mains ». Et il ajoute dépité : « Là c’est agréable de ramer mais les périodes de nage ou de non nage ne font guère de différence. Parfois c’est décourageant. Je suis trop vieux sans doute. Ma progression est proche de celle de 2006. Et les deux routes sont parallèles. J’en déduis qu’ils sont nombreux cette fois à être venus pour faire un résultat. Ca va vraiment vite devant ».

ENDURER LE MAL

Christophe Letendre, le coureur « Bouvet » à bord de Thermience : « j’ai été faire ma petite baignade hebdomadaire pour nettoyer la coque et je me suis aperçu qu’elle était moins sale que la semaine précédente. C’est peut-être parce qu’on a été plus vite… Les mollusques ont du mal à s’accrocher. Le bateau a une bonne glisse, mais moi j’ai toujours mes problèmes de fesses qui sont de plus en plus douloureuses. J’ai changé mon siège d’aviron, mais il n’y a pas de différence sensible. Par contre je me suis fabriqué un coussin anti douleur pour l’intérieur en faisant deux trous correspondant aux proéminences des os iliaques. Du coup je n’appuie plus sur les plaies et c’est tant mieux ». Tous les rameurs ont mal au postérieur et leur cadence aux avirons s’en ressent. Ils ont aussi mal aux mains, mal aux jambes à force de prendre des retours d’aviron,  et les blessures ont du mal à cicatriser : « Les organismes sont bien fatigués après un mois en mer dans nos coquilles de noix et le moindre bobo prend des proportions inattendues », résume Christophe Dupuy.

SI BAS SUR L’EAU

Pour preuve que les rameurs sont comme assis sur l’eau dans le cockpit de leurs canots et voient ce qui se passe autour d’eux uniquement quand ils sont sur le sommet de la vague, Christophe Dupuy disait avoir à peine aperçu le bateau de Julien Besson quand celui-ci l’a dépassé : « Quand l’Etoile Magique qui était à portée de voix de Julien est monté sur une vague j’ai cru apercevoir l’arrière du canot à rames, mais je n’en suis pas sûr ». Quelques centaines de mètres séparaient les deux canots. Julien Besson estime cette distance à un peu plus d’un mille et n’a pas vu le D.O.C de Dupuy. Puis : « La nuit est tombée et fait exceptionnel, j’ai ramé une petite heure dans l’obscurité pour me rapproche de lui. Je voyais sa flash light, j’ai essayé de l’éclairer avec mon projecteur. En vain… ».

J + 30 PIQURE DE RAPPEL

Trois semaines après le « dimanche noir » voilà que le vent et la mer grondent sur l’Atlantique réveillant de mauvais souvenirs chez les rameurs. Guillaume Bodin (Pink boat), classé 14ème entre le Grain de Sel de Marc Chailan et Le Championnet de Saïd Ben Amar : « J’attendais des conditions costaud pour aujourd’hui, mais elles sont arrivées hier et ça a bien remué avec des mers croisées, des bourrasques de vent et de la pluie forte. Le bateau prenait de grosses accélérations sans même que je rame. Je ne pouvais d’ailleurs plus agir sur les avirons au plus fort des grains… Quand tu plantes l’aviron, tu ne sais pas quel bras va prendre en premier. Je ne déteste pas ces conditions musclées mais il y avait matière à se faire peur. J’ai failli me retourner ». Pierre Mastalski, alias Pierre de Mauvilac, pointé en 11ème position à une quinzaine de milles de Christophe Letendre (Thermience) : « La journée a été compliquée hier : une mer croisée comme je n’en avais jamais vu et des grosses vagues. Pour te donner un ordre d’idée, j’ai battu par trois fois mon record de vitesse, 8.7, 9.4 nds et pour finir une pointe à 10 nds en surfant sur une vague. J’ai aussi pris plusieurs fois ces grosses vagues de côté et ça m’a valu des coups de gîte impressionnants. Il fallait vraiment se botter les fesses pour retourner au poste de rame ». Christophe Letendre : « Dans l’après-midi il y a eu un deuxième grain violent où à droite la mer était gris clair et à gauche noire de chez noir, comme une nappe de pétrole. Ça a été très bref, mais très fort ».

CINQ DANS UN MOUCHOIR

Tandis que Pascal Vaudé poursuit son cavalier seul au rythme qu’on lui connaît et semble hors d’atteinte, les cinq canots derrière se bataillent l’honneur du podium.  Leur route est désormais parallèle cap à l’ouest. Ceux situés les plus au sud devraient toucher le courant de Guyane avant les nordistes, mais tous les cinq affichent actuellement une progression similaire et la distance les séparant du but se réduit au fil des jours. Après 30 jours de navigation, elle était de seulement 15 nautiques entre Alein, le plus au sud, Besson décidément pressé et Hidair juste en dessous. A la même heure, Dupuy, 5ème,  affichait la meilleure vitesse  et Verdu, 6ème, achevait de compléter ce quinté  dont personne n’oserait s’aventurer à donner l’ordre d’arrivée. Du second au septième l’écart au but n’est que de 37 milles. Ça promet du suspens à Cayenne la semaine prochaine.

J + 32 (1er mars) BODIN DEPLOIE SON CERF VOLANT

Guillaume Bodin abandonne mais ne rend pas les avirons pour autant. Ce matin, le skipper du Pink Boat a établi son cerf-volant. «J’étais très au sud, plus que je ne l’aurais souhaité et hier soir j’ai eu la conviction que je ne pourrai pas tenir la route nécessaire par la seule force des avirons car ces dernières 48 heures j’ai ramé comme un âne sans résultat. Devant le risque d’être drossé à la côte ultérieurement et d’avoir à faire appel à un remorquage, j’ai pris la décision d’établir mon cerf-volant. Ce qui signifie que je suis hors course mais ma priorité aujourd’hui n’est plus la course. C’est de rallier Cayenne avec mon bateau. Le cerf-volant ne me dispense pas d’ailleurs d’avoir à ramer pour gagner dans le nord comme j’ai pu le constater ce matin… ». Par sécurité, tous les canots sont dotés d’un cerf-volant. Pour autant cela ne semble pas être la panacée puisque Guillaume Bodin arrivera en remorque du Bicho à Cayenne et plus tard, il en sera de même avec le canot de Lemoine. Guillaume Bodin est le 8ème abandon de la course.

POISSONS VOLANTS ET DORADES

Pierre Verdu, contemplatif : « Elles sont marrantes ces dorades car elles chassent les poissons volants ce qui les oblige à sauter pour les attraper au moment du décollage. Et hier, elles ont chassé un banc de poissons à ailes qui s’est éparpillé comme un vol de sauterelles. Y avait tellement de poissons que même les oiseaux s’étaient invités au festin…  Je confirme que les dorades mangent les poissons volants ». Marc Chailan à bord de Grain de Sel : « Hier j’avais allumé la lumière à l’intérieur de la cabine et ouvert le hublot car la mer le permettait. Je préparais mon petit déjeuner quand un poisson volant a atterri dans mon café avec perte et fracas. Ca a mis un gros bazar dans ma petite maison car avant de récupérer le poisson qui gigotait comme un fou et de le lancer à l’eau, ça a été compliqué ». Pierre Vaudé fin pêcheur et expert en mammifères marins : « Il y a deux poissons dont je peux dire d’un seul coup d’œil s’ils sont mâles ou femelles. Ce sont les requins et les dorades coryphènes. Les autres poissons je ne le sais pas. Le sexe de la dorade se reconnaît… à la forme de la tête. Les femelles ont un « visage » très arrondi alors que celui des mâles est carré. Le requin mâle se reconnaît au fait qu’il a deux « zizis » qui se trouvent juste derrière les nageoires situés devant la caudale ». Le requin femelle n’a pas de zizi évidemment. Certains rameurs ont été accompagnés par des dorades une bonne partie du voyage. D’autres ont vu furtivement des requins, pas assez longtemps pour en connaître le genre.

J + 35 L’ASCENSEUR POUR CAYENNE

Marine et Loisirs, a comme allumé le turbo ces dernières 24 h avec une journée record à plus de 78 nautiques parcourus de 12 à 12 h TU, une moyenne horaire jamais inférieure à 3 nds et une crête à 3.7 nds. Le vainqueur annoncé de la Bouvet Guyane est bel et bien dans le fort du courant qui va le propulser mardi matin sur la ligne d’arrivée.  C’est l’ascenseur pour Cayenne. Encore deux « petites » journées de concentration et d’effort, puis l’homme fort de la course pourra savourer le bonheur du devoir accompli. A chaque jour qui passe, canots du nord et du sud convergent vers Cayenne au point de s’aligner comme en file indienne. 150 milles derrière Pascal Vaudé, Julien Besson (Cariacou Boto 3) consolide sa place de second sur Henri-Georges Hidair (Montsinéry-Tonnegrande). Les deux rameurs, aussi guyanais, affichent 66 et 65 milles à leur compteur respectif.  Au fur et à mesure que les bateaux se rapprochent du but, la vitesse s’accélère. Ce dont ne sauraient se plaindre les impétrants.

LA VICTOIRE DES GUYANAIS

Pascal Vaudé a fait une arrivée impeccable au lever du jour mardi sur une mer agitée et sous un ciel dégagé. Il n’avait rien dit de ses ambitions au départ, les autres Guyanais non plus. Ils ont pourtant dominé la course et ont fait preuve à la fois de combativité et de détermination. Notamment Henri-Georges Hidair et Jean-Emmanuel Alein qui ont souffert d’avoir eu à se rationner en eau. Le skipper de Sapro Point Bois a subi quatre chavirages et a très tôt dû manger froid car sa gazinière est tombée en panne. Puis il a manqué d’eau à bord car ses panneaux solaires ne produisaient que très peu d’énergie. « Chaque jour, je faisais dix heures de rame puis je pompais deux heures (sur son dessalinisateur  manuel de secours, ndlr) pour faire un peu d’eau. Je dormais, je recommençais à pomper une heure entre 12 et 13 h. Et ça c’était à partir de la semaine 3… », indique Jean-Emmanuel qui a caracolé en tête de la flotte des « sudistes ». Sa place de 4ème n’en est que plus méritoire. Il devance Pierre Verdu et Christophe Dupuy, premier « métro », à s’intercaler dans l’armada guyanaise qui place ses six engagés dans la Bouvet Guyane aux sept premières places. Cette domination a trois explications : un Team Guyane, un esprit d’équipe et une préparation méthodique. Henri-Georges Hidair est arrivé 3ème sur l’eau une heure et demi seulement derrière Julien Besson. Au classement général officiel, il se retrouve à égalité avec son suivant, Jean-Emmanuel Alein, car il est pénalisé pour avoir consommé sa réserve d’eau douce scellée.  Au final, 14 rameurs solitaires sont classés. Le dernier d’entre eux, le jeune marocain Saïd Ben Amar, à la fois benjamin et seul étranger  de la course, est arrivé le 20 mars, 15 jours  après Vaudé et juste avant que ne se ferme la ligne d’arrivée. Didier Lemoine, à la fois vétéran et doyen de la course, est le neuvième et dernier abandon sur 23 partants.



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