Une première édition mouvementée

Le 19 novembre 2006, ils sont quinze pionniers sur la ligne de départ à Saint Louis du Sénégal.
Quatorze hommes et une femme, néophytes ou loups de mer, à l’étroit dans leur embarcation de 8 mètres pour un assaut de l’Atlantique nord par son versant sud à destination de la Guyane.

Hélas, un départ musclé laisse plusieurs concurrents hors jeu.
Quatre skippers chavirent en effet à la sortie du fleuve Sénégal et trois d’entre eux ne peuvent repartir. Plus heureux que ses malchanceux camarades, Jo Le Guen parvient à réparer son bateau puis il reprend les avirons avec un retard de trois jours.

Très rapidement, la flotte se divise en quatre groupes bien distincts : En tête, Emmanuel Coindre et Romain Vergé mènent la danse sur un train d’enfer.
Derrière les 2 leaders, une bande de furieux qui naviguent presque à vue et composée de Patrick Favre, Jean François Tardiveau et Philippe Soetaert, organise la chasse sur une route assez nord alors que Le Guen revient déjà au contact.

Légèrement plus au sud, Sophie Macé, Jean Pierre Lacroix, Jacques Djeddi, Jean Pierre Lasalarié et Christophe Henry s’accrochent aux avirons pour ne pas se faire distancer.

En queue de peloton, Didier Lemoine ferme la marche. Il a en effet cassé son safran dès les premières heures de course et a bien du mal à se dégager des côtes africaines. Un coup dur pour ce solide parisien qui ne se décourage pourtant pas et décide de poursuivre sa route.

Une course tactique

Durant la première moitié du parcours, les Alizés jouent le jeu, la mer est clémente et les rameurs trouvent leur rythme de croisière.
Puis l’océan dévoile sa véritable nature en piégeant les skippers dans le fort contre courant dit « équatorial » qui, entre les longitudes 33 et 47 ouest, est la cause de bien des déboires et pourrait même être à l’origine, selon les routeurs, du chavirage surprise d’Emmanuel Coindre.
Le 5 décembre en effet, une vague pyramidale est fatale à l’incontestable leader de la course qui, naviguant panneaux ouverts, ne parvient pas à redresser son canot et déclenche sa balise Argos.
Pour Emmanuel, la course est malheureusement terminée. Avec son bateau LADY GINIE, il est rapidement récupéré par la Frégate « Germinal » qui le ramène sain et sauf dans le port militaire de Brest.
Pour tous les autres rameurs, l’épreuve du contre-courant ne fait que commencer. Romain Vergé, qui a pris la tête de la course après le chavirage d’Emmanuel, plonge plein sud en direction du Brésil. Sur les cartes, ce choix tactique radical fait naître bien des interrogations mais sur l’eau, il se révèle comme étant la seule option payante.

Une route qui fait des émules : Christophe Henry, Jean Pierre Lasalarié, Jacques Djeddi et Didier Lemoine profitent en effet de cette lumineuse démonstration pour éviter le piège dans lequel sont empêtrés les « nordistes ».

Philippe Soetaert n’a pas la même chance car, blessé au dos lors d’une mauvaise chute dans son cockpit, il abandonne après plusieurs jours de souffrances et demande l’assistance du Columbus, le bateau qui accompagne la course.
Quant à Jo Le Guen, il n’a plus de radio et doit se débrouiller avec les moyens du bord. Mais le gabier à quelques milles au compteur et son instinct le fait piquer droit au sud. Sans routeur ni contact avec la terre, il ne peut éviter les pièges de la côte brésilienne et peine à remonter vers Cayenne. À bout d’arguments, il doit lui aussi accepter la remorque du navire d’assistance.

Une arrivée pour les gros bras

Aux abords des côtes sud-américaines, le plateau continental s’étend sur quelques dizaines de milles vers le large. A posteriori, on sait maintenant qu’il est imprudent de s’aventurer dans ces eaux avec un canot à rames mené par une simple paire de bras, même très musclés.

En effet, les hauts fonds, conjugués aux courants, génèrent une houle très formée. S’ajoute au phénomène un vent d’est soutenu à cette époque de l’année et qui rabat les canots vers les côtes. Tous les ingrédients du piège à rameurs sont donc ici réunis et, pour les premiers arrivants, la remontée vers Cayenne s’annonce particulièrement difficile....
Toujours aux avant-postes, Romain Vergé sert une fois de plus de cobaye. En approche des côtes amazoniennes, il frôle le plateau continental, ne dort plus, rame jusqu’à l’épuisement et rejoint au courage la ligne d’arrivée. Il avoue s’être fait vraiment mal mais sa prouesse physique lui offre la place de vainqueur de cette première édition de Rames Guyane.
Romain Vergé vainqueur en 40 jours

À plus de 150 milles derrière le vainqueur, Jean Pierre Lasalarié et Christophe Henry évitent le piège des contre-courants et déboulent par le sud.
Mais revenant du nord après des jours et des nuits d’errance, Patrick Favre et Jean-François Tardiveau, qui ne se sont pas lâchés depuis le départ, forcent maintenant la cadence pour contrôler les sudistes. Au droit des côtes brésiliennes, ils évitent les hauts fonds, négocient le plateau avec adresse et descendent tout schuss sur la ligne d’arrivée.
Ils raflent ainsi les deux et troisièmes marches du podium au nez et à la barbe de l’infortuné Lasalarié ….qui manque la cible et passe à quelques centaine de mètres de la bouée de Cayenne. Il ne sera pas classé.

Deux jours plus tard, Sophie Macé et Christophe Henry s’affrontent en un ultime coude à coude au terme de 2600 milles parcourus à la force des bras. En terminant respectivement quatrième et cinquième, ils s’adjugent les dernières place du classement général de la course.

Tous ceux qui arrivent derrière connaissent en effet la même mésaventure que Lasalarié et terminent soit à proximité immédiate de la ligne comme Jean Pierre Lacroix, soit embarqués sur les hauts fonds des côtes brésiliennes comme le malheureux Djeddi qui chavire à 75 milles de la Guyane…….soit un peu plus loin du but comme le courageux Lemoine qui, privé de gouvernail depuis le Sénégal, rejoint les côtes guyanaises après 59 jours de mer.